Il était une fois, à l’école des fées, une jeune apprentie qu’on appelait Carabosse. Elle était d’une beauté incomparable, avait l’esprit vif et des talents magiques exceptionnels. Mais, elle usait de ses dons à mauvais escient.
Un jour pour s’amuser, elle fit geler le lac tout entier pour voir glisser les canards et immobiliser les poissons. Une autre fois, elle transforma les sangliers en tabliers, les blaireaux en tableaux et les renards en nénuphars, juste pour faire des rimes. Mais ce qu’elle aimait par-dessus tout c’était de maltraiter ses camarades les fées.
— Carabosse nous a enfermés dans un placard !
— Carabosse nous a envoyés au sommet de l’Everest, et nous avons dû rentrer à pied !
— Carabosse a fait disparaitre tous nos déjeuners, nous n’avons rien mangé…
— Carabosse séduit ceux qui tombent amoureux de sa beauté et les utilisent pour travailler à sa place !
Voilà ce que rapportaient les autres étudiantes à la directrice de l’école. Celle-ci tentait de la raisonner, en lui rappelant que le devoir des fées était d’utiliser leur magie pour offrir des dons aux autres et faire le bien.
— Nous ne sommes pas des sorciers Carabosse ! lui disait la directrice inquiète. Pourquoi veux-tu faire le mal alors que les fées sont là pour faire le bien, pour aimer les autres et amener sur terre une bonne dose de bonheur et de joie ? Je t’ai mise en garde mille fois qu’à force d’agir ainsi, tu risques un jour de t’attirer des ennuis. Si tu poursuis ce chemin, ton cœur deviendra noir et le destin se retournera contre toi. Carabosse, cesse de maltraiter ceux qui t’entourent et considère-les avec générosité.
— Madame la Directrice, rétorquait Carabosse, je brule d’ambitions, mais les pouvoirs des fées sont si limités ! Je ne peux me contenter de ces dons dont vous glorifiez l’usage, je veux avoir la force des sorciers, des enchanteurs et de toutes les créatures magiques. De cette manière, je serais la fée la plus célèbre et la plus puissante du monde. Croyez bien qu’ainsi le destin et les ennuis ne seront jamais mon problème, car je les essuierai d’un revers de la main.
— Mon enfant, reprenait la directrice, l’ambition est une chose louable et je t’encourage à l’entretenir par tes efforts, ton travail et ta persévérance, car l’ambition ne doit jamais se faire au détriment des autres.
Mais Carabosse n’écoutait que son plaisir, sans jamais entendre la détresse qu’elle causait aux autres. Elle continuait à s’en prendre à ses camarades, aux animaux et aux hommes qu’elle croisait. À l’école, tout le monde avait compris qu’à chaque nouvelle victime, ses pouvoirs augmentaient. Carabosse se nourrissait du désespoir qu’elle suscitait.
Chaque semaine, elle se rendait au marché du village local. Elle s’installait sur les toits pour regarder les humains d’en haut. Hop, d’un geste du doigt elle perçait le panier du facteur pour laisser s’échapper toutes les lettres et voir le malheureux courir au vent pour les rattraper. Hop, d’un autre geste elle faisait tomber le blanchisseur dans la fontaine. Les savons qu’il avait dans les poches faisaient mousser l’eau, si bien que c’était difficile de retrouver le pauvre homme pour le sortir de là.
Mais un jour, elle vit un jeune garçon avec une belle allure. Carabosse était incapable d’aimer, mais elle se dit qu’elle voulait être aimée de celui-là. Alors, elle fit ce qu’elle savait faire et lui attribua le don de n’aimer qu’elle. Puis elle s’approcha de lui.
Bien entendu, le pauvre bougre n’eut d’autre choix que de l’adorer immédiatement. Et puisque bien souvent l’amour rend déraisonnable, la jeune fée en profita pour lui demander de voler les honnêtes commerçants pour elle. Il alla lui chercher ce qu’elle voulait : une nouvelle barrette en or pour ses cheveux, des choux à la crème, des bijoux, des chaudrons pour faire des sorts et un miroir de grande valeur. Puis, lorsqu’elle en eut assez, elle demanda au jeune homme de partir.
Mais quelqu’un avait observé toute la scène, c’était une petite souris, si minuscule que personne ne faisait attention à elle. En voyant le bellâtre s’éloigner, la petite bête décida d’intervenir.
— Dis donc belle demoiselle, commença la souris, tu ne vas pas laisser partir ce pauvre jeune homme sans briser le vilain charme dont tu l’as affublé ? Il ne peut aimer que toi et s’il ne te revoit pas, il mourra de chagrin…
— Comment oses -tu t’adresser ainsi à moi, s’énerva Carabosse, tu n’es qu’une petite vermine et tu penses pouvoir me donner des leçons ? Tu parles, la belle affaire, encore un mot et je t’aplatis !
— Je suis navré d’insister, dit la souris, mais c’est trop cruel, ce jeune homme ne mérite pas de mourir de chagrin…
À ces mots, la fée tenta d’écraser du pied l’animal qui l’évita plusieurs fois. Mais lorsque Carabosse finit par réussir, la souris se transforma en très grand sorcier. Celui-ci était habillé en noir, il avait une longue barbe et les yeux cernés. Bien sûr, la fée sursauta de peur.
— Carabosse, dit le sorcier, en essayant de me tuer, tu m’as libéré du sort qui m’avait été jeté. Je devais être mis à mort par une personne plus méchante que moi. C’est toi Carabosse, tu es bien méchante !
— Sois en reconnaissant alors, tu n’es plus un ridicule petit rongeur, dit Carabosse.
— Être une souris m’a permis de regarder les autres avec modestie, j’ai découvert l’empathie et le respect de la vie. C’est une leçon que tu dois apprendre !
Sur ces paroles, le sorcier lança sur Carabosse une malédiction terrible. Il la destina à ne pouvoir énoncer que des mauvais sorts. Ainsi, la peur qu’elle inspirerait aux autres l’obligerait à être rejetée et à vivre recluse. Puis, il lui dit que désormais son corps serait à l’image de son cœur. La belle Carabosse se transforma en une vieille femme repoussante et une grosse bosse lui poussa sur le dos, car son coeur était laid. Puis, le sorcier disparu.
La méchante fée n’osa jamais retourner à l’école. Elle s’installa tout en haut d’une montagne dans un château abandonné et elle devint la terreur de tous les villageois alentour.
C’est ainsi que commence le récit de la fée Carabosse, connue pour avoir ensorcelé la Belle au bois dormant. Mais ceci est une autre histoire.
FIN